Artistes
Un documentaire court de Julien Saglio:
Nuage Vert from julien filmo on Vimeo.
Entretien entre HeHe, initiateurs de Nuage Vert et Mathieu Marguerin, curateur indépendant et directeur artistique du festival Mal au Pixel.
MM: Vous développez Nuage Vert à Saint-Ouen, une installation interactive qui dessinera le contour du nuage de vapeur qui s’échappe d’un incinérateur. D’où vous est venue l’idée de dessiner directement sur un nuage ?
HeHe: Avant les premières esquisses de Nuage Vert en 2003, nous avons travaillé à différentes façons de rendre la pollution visible et perceptible. Nous recherchions le lien le plus direct entre la consommation et les consequences, quand nous nous sommes installés à Saint-Ouen, près de la station Garibaldi, avec une vue imprenable sur l’incinérateur de déchets. Nous trouvions son énorme panache très beau et terrifiant à la fois et nous nous sommes intéressés à notre propre relation à cet incinérateur. De là, nous avons aimé l’idée qu’il pourrait être illuminé, comme on le fait avec les néons dans la publicité, comme un signe appelant à la réduction dela consommation, et nous avons pensé à la technique de l’animation laser.
MM: Vous désignez un site particulièrement sensible dans l’équilibre de l’environnement urbain. A quelle réalité écologique faites-vous référence ?
HeHe: La signification de la fumée d’usine s’est beaucoup déplacée à travers l’histoire. Au début de la révolution industrielle, elle indiquait la prospérité et depuis les années 80, elle est devenue l’icône ultime de la pollution. Aujourd’hui, L’incinérateur représente-t-il un problème écologique, celui des déchets toujours plus nombreux ou des ses prétendues émissions, ou une solution écologique en générant de l’électricité et du chauffage?
Nous sommes donc conscients que de jouer avec l’esthétique des nuages artificiels risque de déclencher des débats passionnels.
En général, on n’aime pas spécialement penser à la réalité de nos déchets une fois qu’on les a jetés dans le bac vert ou jaune. Historiquement, la ville de Paris expulse ses déchets et tout ce qui l’encombre en périphérie et tente d’enterrer ces infrastructures, de le rendre invisibles. Cela conduit certainement à une forme de dé-responsabilisation. En même temps, la chaîne de la gestion de déchets représente une industrie grandissante. Les incinérateurs de dernière génération sont étudiés pour que leurs émissions ne soient pas visibles. Il semble que la culture techno-scientifique cherche à rendre les processus aussi imperceptibles que possible et voient dans la technologie la solution.
Pourtant, la production de déchets est certainement une affaire plus culturelle. Notre projet est de rendre toute la chaîne de gestion des déchets plus visible, notamment en donnant une nouvelle signification esthétique au nuage, qui représente la dernière étape de leur élimination.
MM: Le principe opératoire est celui de l’interactivité. De par son échelle, le dispositif s’adresse véritablement à tous au sein d’un vaste tissu urbain. Qu’attendez-vous du public ?
HeHe: Nuage Vert est un processus social et la matière pour examiner le panache de vapeur qui s’échappe de la cheminée, c’est-à-dire explorer les différentes perceptions parmi ceux qui sont directement concernés. C’et un travail de dialogue, aussi bien avec des associations engagées dans le développement durable, des responsables politiques et des acteurs culturels, et plus largement avec les citoyens qui vivent avec l’incinérateur.
L’issue n’est pas positive ou négative, pédagogique ou didactique mais on espère d’avantage qu’à travers notre travail transparaisse l’énergie de tous. L’énergie qu’on investit, ou bien qu’on espère sauver.
MM: Quelle a été jusque-là votre expérience dans cette appropriation d’une chose publique, à la fois sujet politique et activité industrielle ?
HeHe: Chaque situation urbaine et industrielle est particulière et le panache d’une usine ne renvoit pas aux mêmes réalités. A Helsinki, où nous avons réalisé le premier prototype du Nuage Vert, l’usine brûle du charbon pour générer de l’électricité et du chauffage urbain et le scénario interactif a été établi en dialogue avec les habitants : plus on économise d’électricité, plus grand est le nuage.
Dans le cas de Saint-Ouen, la perception publique est actuellement problématique. Le débat public s’est réveillé justement cette année, notamment dans le projet de construire un écoquartier à proximité de l’incinérateur. De plus les acteurs industriels sont naturellement sur la défensive.
Ce processus de dialogue est à l’image du déploiement de la projection sur le panache de vapeur. Pour le réaliser, nous devons trouver un site de base dans le paysage. Nous devons trouver les ressources techniques, interroger les autorités locales avec des questions inédites. A qui appartient le nuage, sinon à tout le monde?
Notre idéal serait que Saint-Ouen, Paris et toute la communauté considère pendant un court moment les déchets comme un bien public.
Ce qui est clair pour l’instant est que l’image du nuage toxique reste persistante dans l’esprit des Franciliens et que les «éco-responsabilités» sont loin d’êtres établies. Ces deux réalités sont-elles interdépendantes ?
MM: Quelles ont été les retombées de la première expérience que vous avez menée à Helsinki en 2008 ?
HeHe: Au départ Helsinki Energy, le producteur local d’électricité, était également sceptique envers Nuage Vert lorsque nous le leur avons proposé la première fois en 2005. Après avoir obtenu leur accord, le succès de l’opération a eu de nombreuses répercussions positives. Pour l’entreprise cela a été un excellent moyen de montrer son implication et d’entretenir ses relations avec le voisinage. Pour les riverains, cette transformation esthétique valorisait leur quartier, on a pu économiser collectivement 800 KWA sur une seule action de “débranchage” et le montrer à travers le nuage. C’était la première fois qu’on pouvait mesurer et rendre disponible en temps réel la consommation d’électricité. Helsinki Energy a décidé depuis de publier ses données sur la consommation d’énergie et de continuer à travailler avec des artistes pour inventer des façons de montrer ces informations.
MM: Où en êtes-vous du développement?
HeHe: Techniquement parlant, nous sommes prêts à illuminer le nuage ! Mais avant ça, nous invitons les habitants de Saint-Ouen et tous les acteurs concernés à venire dialoguer, récolter des avis et développer ensemble des stratégies. Pour bientôt pouvoir contempler ensemble le Nuage Vert et le faire grandir !
Paris, 22 mars 2009